Chapitre 6

Jérusalem, porte de David, fin de matinée du lundi 22 décembre 1158

Lorsqu’ils arrivèrent en vue de la porte principale, Ernaut et Raoul ne démontèrent pas. Ils saluèrent les hommes de faction, occupés à surveiller une longue file de chameaux dont les lourds paquets dodelinaient à chaque mouvement. Les pauvres bêtes semblaient peiner à supporter les imposants fardeaux et Ernaut s’étonna qu’elles aient réussi à franchir l’une ou l’autre des vallées de Judée. Quand ils parvinrent au niveau du bâtiment des douanes, ils aperçurent Droart qui vint les accueillir rapidement, saluant brièvement Raoul avant de sourire avec chaleur à Ernaut.

« J’ai appris que tu es allé sur la piste d’un tien compère mortellement navré. Passe donc ce soir chez moi, on boira quelques godets à sa mémoire. »

Ernaut accepta l’aimable proposition, d’autant que l’épouse de Droart, pour n’être pas très joviale, était bonne cuisinière. En outre, il appréciait fort Droart, dont le caractère enjoué recélait des trésors d’amitiés. Il s’était montré d’une hospitalité sans réserve depuis qu’Ernaut l’avait rencontré, quelques mois plus tôt. On lui prêtait inconstance et pusillanimité, mais Ernaut n’avait qu’à se louer de lui.

Les deux cavaliers ne pénétrèrent que peu dans la rue de David, qui fendait la ville en deux vers l’est, préférant obliquer à main gauche afin d’emprunter des voies annexes, un peu au nord. Cela leur permettait d’éviter les quartiers les plus commerçants. Il était généralement difficile, voire impossible d’avancer à cheval, à moins de se faire devancer par quelques hommes aptes à bousculer les chalands récalcitrants, parfois même les produits des boutiquiers, qui en prenaient à leur aise sur la largeur du passage.

Ils n’échappèrent néanmoins pas à la presse, fort agitée en ces jours précédant les fêtes. Ils longeaient d’importants marchés, aux grains et aux bêtes, où chacun venait s’assurer de stocks en quantité pour profiter tranquillement de la période de Noël et, surtout, de l’Épiphanie. Chaque année, il s’ensuivait un renchérissement des prix qui faisait grogner les ménages les plus modestes et sourire les vendeurs les plus aisés. D’autant que les cens étaient généralement à verser dans la même période, aux alentours de Noël. La file des miséreux qui bénéficiaient d’une écuelle à l’hôpital de Saint-Jean était toujours plus conséquente en ces moments, parfois autant que lors de la jointure, quand le grain de l’année n’était pas encore récolté et que les réserves avaient fondu.

Ernaut et Raoul abandonnèrent leurs montures aux mains des valets d’écurie, se contentant de prendre chacun leur portemanteau afin de s’engouffrer vers les bâtiments administratifs. Il ne s’y trouvait que Bertaud, occupé à déplacer des piles de méreaux1) sur la table servant à faire les comptes. De nombreuses tablettes et quelques rouleaux trônaient sur des liasses de papier. Il les salua aimablement sans pour autant interrompre son travail. Ils se hâtèrent de déposer leurs affaires et d’ôter leurs chapes de voyage. Lorsque Raoul se laissa tomber sur un des bancs, Ernaut lui montra sa petite boîte de messager.

« Je vais quérir le sire sénéchal, attends-moi ici s’il souhaite t’encontrer aussi. »

Il sortit alors en direction des étages supérieurs. Il était désormais familier des coins et recoins de ce dédale qui formait palais. Ce n’était qu’un enchevêtrement de salles, couloirs obliques, escaliers, jardins, courettes, marches et portes, sans logique ni plan concerté. Apprendre à s’y déplacer efficacement constituait un des talents de la nombreuse domesticité qui s’y côtoyait.

Ernaut parcourut tout l’étage noble. Là se trouvaient les zones de réception et les petites chambres où généralement les officiers d’importance accomplissaient leurs tâches. Avec l’armée au loin, la Cour avait déserté pour la Noël et les lieux lui parurent étrangement calmes. Dans la grande salle d’honneur, utilisée par le roi et la Haute Cour pour leurs conciliabules, il ne se rencontrait qu’une poignée de valets en train de suspendre un nouveau lustre où les lampes se superposaient par dizaines. Partout on lui indiqua que le sénéchal n’avait pas été vu de la journée.

Il retrouva Brun, les bras encombrés d’un épais volume, qui sortait d’une des petites pièces de travail. Il était un des rares à posséder les quelques clefs pour accéder aux archives et chambres où l’on conservait les plus importants documents.

« Mestre Brun, je suis en quête de mon sire Jean d’Acre. Auriez-vous connoissance de sa présence ?

— Il ne sera pas là d’ici demain. Est-ce urgent ?

— Pas que je sache. C’est le sire évêque de Lydda qui m’a donné message en réponse. »

Brun ne jeta même pas un coup d’œil à la boîte de messager, habitué qu’il était à voir aller et venir les coursiers.

« En ce cas, je te conseille de venir demain à la première heure. Il a quelques audiences de prévues, tu pourras le lui remettre à cette occasion. »

Ernaut remercia Brun et retourna vers la salle voûtée où les sergents réalisaient la plupart des tâches administratives, que d’aucuns appelaient parfois la sénéchaussée. Il obliqua par les cuisines où il réussit à négocier un peu de pain garni de hoummous. Il savait que des futailles étaient toujours présentes non loin pour se désaltérer sans avoir à baguenauder dans tout le palais. Les officiers avaient trouvé là une façon habile de maintenir les hommes au travail. Il s’enquit également du dîner, qui n’allait pas tarder à être corné lui répondit-on.

Raoul accueillit le pain avec force remerciements et s’employa à en faire disparaître sa part avec appétit. Cela les mit en train pour prendre un vrai repas, qu’ils partagèrent avec Gaston, un autre des sergents, parmi les vétérans. Celui-ci accueillit leur entrain et leur jeunesse avec enthousiasme. Il était encore de corvée d’inventaire, avec un petit clerc qui l’aidait à faire le tour de tous les arsenaux de la cité.

« Je vais pas me plaindre qu’ils envisagent de vérifier le fourniment juste avant que les cliquailles de la Noël aillent garnir les coffres de not’sire Baudoin, mais je commence à croire qu’on me prend pour un clerc de la Secrète.

— Au moins n’as-tu pas à battre la campagne sous la pluie et le froid. J’ai entendu dire qu’ils avaient sale temps dans le Nord.

— Je suis pas en sel, je crains pas la pluie. Si j’ai fait jurement, c’était pas pour me retrouver cloîtré comme moine. Dans ces maudites pièces, l’air est pourri, il me gâte les entrailles. »

Il avalait pourtant le brouet poivré avec vigueur et postillonnait avec énergie tout en s’exprimant d’une voix habituée au fracas des batailles, assez forte pour s’imposer à plusieurs tables de distance. Tout le monde savait qu’on le traitait en fait justement parce qu’il n’était plus si vaillant, et on le ménageait, ainsi que la troupe qui aurait dû s’accommoder d’un chef boiteux diminué avant l’âge. Il faisait bonne figure jusque là, mais sa vie aventureuse l’avait vieilli bien vite et il refusait de l’admettre, au moins publiquement. Par contre, chacun s’accordait sur sa compétence à préparer les hommes pour le combat, que ce soient les formations de fantassins ou pour le duel face à face. Même diminué, personne n’aurait eu le courage de l’affronter en champ ouvert.

L’après-midi, Raoul fut affecté au tri des rouleaux de cens qui seraient perçus. Il convenait de les avoir disponibles pour les jours à venir, quand les occupants des maisons verseraient leur écot. Chacun savait normalement par la coutume combien il avait à payer, mais il arrivait parfois que certains tentent d’en abaisser le montant. Les documents établis depuis le début du royaume permettaient d’en attester sans doute aucun, même s’il était fréquent que les plus récalcitrants refusent de se soumettre à des écritures dont ils soutenaient qu’elles n’avaient pas la valeur de témoignages d’anciens habitués aux pratiques ancestrales. Mais l’administration de Baudoin III se voulait moderne et se dotait d’archives scripturaires, sans se contenter de la mémoire des habitants, assujettis et percepteurs.

Pour sa part, au retour du réfectoire, Ernaut passa dans le palais du patriarche, qui partageait de nombreux accès avec celui du roi, et demanda s’il pourrait avoir une entrevue avec Amaury de Nesle, ayant un message à lui remettre. L’ecclésiastique recevait le lendemain en fin de matinée, ayant des audiences publiques de prévues. On lui indiqua de revenir à ce moment-là. De retour à la sénéchaussée, on l’envoya ensuite faire escorte au mathessep. Plusieurs accusations étaient remontées jusqu’à la cour des Bourgeois, à propos d’un marchand de grain qui abuserait ses clients avec l’aide d’un mesureur recourant à des jauges faussées. Ernaut appréciait ces opérations de contrôle et de justice. Il ne s’agissait généralement que de confisquer les objets du délit et de convoquer le fautif à un jugement, et bien peu osaient affronter ouvertement l’autorité royale.

Quelques-uns disparaissaient avant leur procès. L’administration percevait les amendes sur les biens abandonnés, accordant l’excédent aux plaignants pour qu’ils en disposent à leur gré. Le plus important était de toute façon que le trouble ne se perpétuât pas. Le contrôle des prix des aliments était capital dans les grandes cités, surtout en période de moindre production. Même le plus égoïste et irréfléchi des barons savait qu’il était dangereux de ne pas faire en sorte que son peuple ait de quoi se nourrir à des tarifs corrects. Des villes s’étaient livrées à des ennemis pour ce genre d’inconséquence.

Les deux contrevenants firent bonne impression à Ernaut, jurant sur tous les saints qu’ils étaient honnêtes dans leurs pratiques et attestant de l’ancienneté de leur métier. Ils imputaient les allégations à des concurrents jaloux. Il fallut le recours à un maître huchier avec des compas pour établir la fausseté des ustensiles et leur rabattre le caquet. Ils se tinrent alors cois, Noël s’annonçant fort mal pour eux.

Ucs de Monthels se montrait chaque fois assez peu amène avec les fraudeurs et n’hésitait pas à les bousculer à l’occasion. Il fit enclouer l’échoppe du marchand et confisqua tous les instruments de mesure de son comparse. À cela s’ajouta une forte saisie de leurs biens, en garantie de leur venue à la Cour des Bourgeois pour se défendre avec leurs témoins face à leurs accusateurs. Comme il n’y aurait aucune session durant les fêtes, ils allaient devoir patienter jusqu’en janvier.

Alors qu’ils s’en retournaient au palais, Ernaut se rapprocha du mathessep.

« Mestre Ucs, je n’ai pas grand usage des pratiques judiciaires, mais pourquoi ne leur fait-on pas directement payer l’amende ?

— C’est qu’il n’est pas assuré qu’ils aient fauté, ce sera à la Cour d’en décider.

— Mais nous avons découvert malhonnêtes mesures en leur possession.

— Quand bien même ! Peut-être ont-elles été posées là par leurs accusateurs même ! Ces derniers sont nombreux et de bonne fame, ce qui leur donne légitimité. Mais le marchand suspect est connu assez pour fournir des témoins de sa droiture, qui seront prêts à jurer que c’est là tromperie et manipulation. S’il s’en trouve assez, cela pourrait faire incliner le plateau du jugement en sa faveur. »

Ernaut se rendit à la pertinence de la remarque, mais il lui paraissait que Ucs de Monthels ne semblait guère convaincu par son propre discours.

« Cela ne donne-t-il pas moyen aux plus habiles et fortunés de s’entourer de faux témoins et de bons amis jurant contre espèces sonnantes ?

— Ils encourent forte peine pour témoigner faussement. Mais, de fait, j’ai trop vu de sournois bourgeois le cul cousu d’or qui échappaient aux accusations de plus modestes qu’eux. Selon les jurés présents, la justice balance qui ci qui là. Il s’en trouve d’aucuns plus enclins à chercher le vrai dans toutes choses, tandis que d’autres se contentent de respecter les usages sans s’attarder au fond du problème. J’ose encroire que les deux malandrins que nous venons de dénicher ne s’en tireront pas trop aisément. Je n’aime pas les affameurs et je m’efforcerai de faire en sorte qu’ils soient jugés un jour où siégeront les plus sensibles à ces questions. »

Ernaut comprit que malgré son statut de première importance et son attitude parfois un peu distante, le mathessep demeurait un homme du commun, sensible aux misères des plus impécunieux. Peut-être n’était-il pas issu d’une riche et prestigieuse lignée de négociants. Mais, surtout, il retenait que la justice royale, pour équitable qu’elle se prétendait, pouvait se voir ajuster par quelques poussées adroitement placées. Ce n’était pas là manipulation grossière et corruption active, mais modeste chiquenaude imperceptible. Qui pouvait avoir grandes conséquences.

Jérusalem, palais du patriarche, fin de matinée du mardi 23 décembre 1158

La salle d’audience du patriarche n’avait que peu à envier à celle du roi. Les symboles du pouvoir, pour n’être pas guerriers, en étaient aussi ostentatoires : étoffes, décors et meubles de prix encombraient la pièce avec une accumulation qui en détruisait l’harmonie. Partout l’œil n’encontrait que coffres illustrés de scènes bibliques, fresques et mosaïques murales racontant les hauts faits de saints, dais sculpté, peint et rehaussé de tentures lourdes de motifs rebrodés, vitraux ajoutant au chaos des formes l’exubérance des couleurs.

Le patriarche, habillé d’une parure chatoyante de passementeries au fil d’or et de pierreries, était installé sur un trône magnifique dont le dossier était orné en partie supérieure d’une mandorle abritant un Christ triomphant. Nul ne pouvait ignorer de qui l’ecclésiastique assis là tenait son autorité, ni de sa toute-puissance dans ce monde et au-delà. Autour de lui, répartis sur des chaires, quelques religieux aux atours aussi dispendieux quoique légèrement plus sobres, compensaient leur moindre statut par des crucifix ouvragés suspendus à leur cou et des attributs, bague ou bâton, indiquant l’abbé, l’évêque ou le doyen d’un collège de chanoine. Enfin, un peu en retrait de part et d’autre, de modestes clercs de la chancellerie étaient présents pour noter les minutes, aller quérir tout document utile ou préciser un point de droit ou une question patrimoniale épineuse.

Ernaut se trouvait parmi les derniers solliciteurs. Il avait dû assister aux audiences du sénéchal avant tout, afin de lui confier en mains propres la missive de Constantin de Lydda. Jean d’Acre, qui avait l’esprit tourné vers les perceptions des jours à venir, ne l’avait écouté que d’une oreille distraite et lui fit remettre le pli à un de ses scribes. Ernaut n’était même pas certain qu’il avait entendu sa demande de se rendre au palais du patriarche avant d’y acquiescer. Pour être un homme compétent et, disait-on, assez intègre, il devenait évident à tous qu’il déclinait assez vite ces derniers mois et ne semblait plus guère capable de mener de front toutes les tâches qui relevaient de son service.

Les audiences d’Amaury de Nesle paraissèrent assez similaires à ce qu’Ernaut voyait régulièrement à la Cour des Bourgeois, avec juste la différence de jargon et une pompe plus solennelle. Les demandes étaient souvent purement territoriales, questions de propriétés, donations faites par des fidèles désireux de sauver leur âme par des messes, mais aussi parfois des sollicitations dont seuls les plus lettrés en l’assemblée devaient comprendre les implications. Les échanges se faisaient alors rapidement en latin, afin d’y apporter toute la précision nécessaire à des points de liturgie, de dogme ou de préséance cléricale.

Lorsque vint son tour, Ernaut s’avança et s’agenouilla respectueusement devant Amaury de Nesle. En relevant la tête, il eut le plaisir de voir le patriarche lui sourire. Il demeurait en lui le visage franc et direct du doyen des chanoines qui l’avait interrogé à plusieurs reprises l’année précédente, illuminé de l’intelligence vive trahie par un regard perçant et affairé. D’un geste de la main, il invita Ernaut à s’exprimer.

« Sire patriarche, je suis céans pour vous porter missive du sire évêque Constantin de Lydda. »

Il ouvrit la petite boîte qui ne contenait plus que ce document et le remit cérémonieusement au clerc qui s’avança vers lui.

« A-t-il transmis un message oralement en plus de ces écrits ?

— Il prie pour vous et votre sauveté des ennemis qui voudraient s’opposer à vous, et vous sait grâce d’avoir entendu son appel en si étrange affaire. »

Entendant cela, le patriarche se fit remettre le document et le parcourut d’un murmure. Fronçant les sourcils, il donna quelques instructions à l’oreille de son servant avant d’envisager Ernaut de nouveau.

« Je sais gré à Sa Majesté le roi Baudoin d’avoir délégué des gens de son hostel pour assister la Sainte Église en ses inquiétudes. »

Puis il bénit Ernaut, toujours agenouillé, avant de le congédier. L’entrevue était terminée. Ernaut se dirigeait vers la sortie lorsque le clerc qui avait transmis le message vint l’arrêter. Le patriarche souhaitait l’entretenir seul à seul une fois ses audiences achevées. Il invitait donc Ernaut à patienter dans les jardins.

Tandis qu’on le menait, Ernaut s’interrogea sur les raisons de cette discrétion. L’évêque Constantin avait insisté sur le besoin de garder toute l’histoire sous scellés. Peut-être avait-il hésité à en confier la teneur à un écrit, fut-il dans les mains d’un messager royal, et certainement rédigé dans une langue savante comme le latin. Les diplomates avaient l’habitude d’être porteurs dans leur mémoire d’autant d’informations que les documents qu’ils délivraient.

La dernière fois qu’il avait eu à échanger avec Amaury de Nesle, il n’avait été impliqué dans l’histoire que par accident2). De se voir reconnu un rôle officiel dans une intrigue qui touchait aux intérêts de la couronne et du clergé le faisait frissonner de plaisir.

Il dut prendre son mal en patience et il s’entraînait à jouer au palet avec des cailloux dans une travée du modeste cloître où on l’avait abandonné quand enfin on vint le chercher. Il emprunta d’autres passages, inconnus de lui, jusqu’à une petite salle similaire aux pièces de travail des officiers royaux. Bien moins ostentatoire que la halle d’audience, elle était malgré tout richement ornée de céramique bariolée, et les cabinets qui en occupaient le bas des murs étaient tous de qualité, peints et renforcés de fer. Le patriarche était debout devant un lutrin, en train de tourner les pages d’un grand volume à l’épaisse couverture. Il ne portait plus qu’une magnifique tenue de laine pâle, une croix émaillée autour du cou et sa bague pour tout insigne.

C’était là visiblement un lieu de travail où la lumière, filtrée par des carreaux de verre clair, se répandait doucement sur un vaste plateau encombré de chevalets pour codex et de rouleaux. Amaury de Nesle attendit qu’il vînt à lui et lui tendit sa bague à baiser en une génuflexion. Pour être discret, l’entretien n’en était pas moins formel.

« Je suis aise de voir que tes talents ont trouvé excellent maître à servir, mon garçon ! »

Un peu intimidé par l’importance de son interlocuteur, Ernaut en vint à oublier qu’il était difficile de ne pas se rappeler son gabarit et se trouva flatté qu’on se souvînt de lui. Il n’était après tout qu’un sergent parmi tant d’autres. Il bafouilla quelques remerciements, agrémenté d’un salut qu’il espérait respectueux, peu au fait de l’étiquette en pareil cas.

« Peux-tu me conter ce qui s’est passé en les terres de l’évêque de Lydda ? Ce que tu en as compris, du moins.

— Il semblerait qu’un des chanoines, désireux de créer un feu de guerre similaire à celui des Griffons, n’ait pas réussi à s’en rendre maître après l’avoir créé. Il en est mort.

— Et le clerc de l’archevêque ?

— Malencontreux accident comme il s’en trouve si souvent sur les chantiers. Je le déplore grandement, car je comptais le père Gonteux pour un ami, ayant traversé les mers à ses côtés pour venir ici.

— Rien de plus ?

— Rien ne permet de le croire. S’il y a eu lien entre eux, c’était parce que le père Waulsort était fort érudit dans les traditions des saints. Le père Gonteux souhaitait l’entretenir de ça pour son propre dessein, un travail qui lui tenait à cœur. Cela n’avait rien à voir avec ces recherches de feu. »

Le patriarche promenait doucement sa lourde silhouette autour de la pièce tout en écoutant avec application, ses yeux clairs parcourant au décor sans y prêter le moindre intérêt. Il n’était qu’attention pour le récit d’Ernaut.

« Tu n’encrois pas à quelque sournoise meurtrerie ou mystère ?

— Meurtrerie, je ne saurais en jurer, mais rien ne l’indique. Il y a bien quelques ténèbres demeurées en cette histoire, mais elles ne concernent nullement nos morts.

— Tu parles de ce mystérieux maître qui fournissait le chanoine en onguents, poudres et instruments ?

— De certes. Mais c’est là mystère qui appartient au mort. Il est de peu de chances qu’il lui doive son trépas, donc je n’ai pas à y chercher plus avant. »

Le prélat esquissa un sourire à la réponse d’Ernaut. Il avait déjà pu constater l’immense curiosité du géant face à lui et doutait de sa capacité à la contraindre bien longtemps. Il appréciait néanmoins ce qu’il entendait. Le plus important pour lui était de ne pas provoquer de problème avec la couronne. Baudoin III était jeune et impétueux et moins porté sur la religion que sa mère Mélisende. Il ne fallait pas qu’un membre de l’église soit à l’origine d’un scandale avec les Byzantins, dont le roi espérait faire des alliés contre le sultan syrien Nūr ad-Dīn.

« Qu’apenses-tu de ces histoires de magie et de démons ?

— Pas grand-chose, sire patriarche. J’avoue ne pas être connaisseur de tels sujets, qui sont plus familiers aux clercs et savants. Je ne vois néanmoins pas pourquoi aller chercher pareilles réponses alors que les questions qui se posent ne le nécessitent pas.

— Ne crois-tu pas au merveilleux et à l’existence de pouvoirs surnaturels ?

— Je ne sais pas trop, à dire le vrai. Je crois ce qu’en ont dit ma parentèle et les curés de chez moi, à Vézelay. Dieu et ses saints, je sais bien qu’ils agissent autour de nous, mais le comment de ça… Outre, cela n’est d’aucune mesure en cette affaire, qui se peut expliquer de façon bien naturelle, ainsi que je vous l’ai narré. »

Le patriarche revint à sa table, s’y appuya avec cérémonie et releva les yeux vers Ernaut. Son ton et sa voix avaient changé, retrouvant soudain le timbre qu’il avait adopté dans la grande salle.

« Tu as bien œuvré en cette affaire, mon garçon. Je le ferai savoir à ton hostel. Il te faut poursuivre en même chemin et garder tes lèvres scellées sur tout ce que tu as appris. »

Ernaut hocha le menton en silence, mal à l’aise devant l’aspect soudain pontifiant d’Amaury de Nesle.

« Il n’est pas de meilleure intention qui, captée par maline intelligence, puisse engendrer de terribles catastrophes. Selon tes mots, les prêtres ont joué de malchance les deux fois. Ne nous aventurons donc pas outre, Dieu nous a fait clairement comprendre que la voie était fermée. N’incitons pas la curiosité en babillant à tort et à travers. »

Puis il tendit sa main à Ernaut pour qu’il baise son anneau, lui signifiant par là son congé. Le jeune homme se retira après un salut respectueux. Lorsqu’il tira la porte, un valet l’attendait pour le guider jusqu’aux passages menant à l’hôtel du roi. Enthousiasmé à l’idée qu’on parlerait de lui en bien aux plus hautes sphères, il regrettait juste que Baudoin ou son frère Amaury fussent absents. Il lui faudrait trouver Régnier d’Eaucourt pour lui faire part de sa réussite. Le chevalier, quoique parfois un peu rude dans ses remarques, l’avait toujours soutenu dans ses velléités d’ascension. Ce fut d’un pas léger qu’il se rendit au réfectoire lorsqu’il entendit sonner la corne du premier appel au repas. Il avait un appétit à engloutir un cheval !

À peine était-il arrivé aux abords des bassins où les domestiques se lavaient les mains avant de manger qu’il fut arrêté par un des petits garçons à tout faire qui portaient messages et instruction d’une aile du palais à l’autre. Le gamin lui indiqua qu’il était convoqué de toute urgence.

« Qui donc m’espère ? J’ai déjà remis message au sénéchal et je sors à peine de l’entretien avec le patriarche.

— On ne m’a pas dit le quoi du comment, juste de te faire venir ! »

Et sans plus de cérémonie, le gamin s’engouffra dans un des escaliers. Si Ernaut voulait avoir la réponse à sa question, il lui faudrait suivre le mouvement, au risque de rater son dîner.

Jérusalem, palais royal, mi-journée du mardi 23 décembre 1158

Ernaut connaissait l’endroit où on le menait : une des petites salles de travail de l’étage noble, les murs percés de nombreuses niches et un grand plateau en son centre. Derrière celui-ci, le sénéchal Jean d’Acre discutait à voix basse avec un interlocuteur qu’Ernaut reconnut pour l’apercevoir de temps à autre au palais : un des hommes du frère du roi, le comte Amaury de Jaffa. De faible corpulence, sa taille accentuait son aspect arachnéen et, n’eussent été ses yeux ornés de rides profondes, on aurait pu le croire assez jeune. Le cheveu rare autour du crâne, il le portait court, mais suivait la mode en ce qui concernait la barbe finement coiffée en pointe. Sa tenue était également de la dernière élégance, avec de larges manches et un buste assez serré, en soie. Lorsqu’Ernaut entra, les deux hommes continuèrent un moment à échanger à mi-voix puis Jean d’Acre se leva.

« Mon garçon, voici le sire Guy, sénéchal du comte Amaury. Réponds-lui ainsi que tu le ferais à moi. »

Puis il salua son invité et sortit sans plus un mot. Ernaut attendait, un peu fébrile à l’idée qu’on lui demande plus d’explications. Il n’avait jamais eu affaire à ce sénéchal. Il lui donnait l’impression d’un nobliau de Cour peu familier du harnois et de la selle. Assis à la table, Guy y compulsait quelques documents d’un air détaché, ne se décidant à darder ses yeux sombres sur le sergent qu’après un long moment. Puis il demeura ainsi sans mot dire, comme s’il voulait évaluer un éventuel pouvoir hypnotique sur le jeune homme. Habitué à se faire remettre en place par de plus martiaux que ce coquelicot de Cour, Ernaut se contenta de fixer le mur, résistant à l’envie de le dévisager à son tour.

« Prends donc un siège, sergent. Je ne suis pas chevalier officiant en ton hostel. Tu as nom Ernaut, c’est cela ?

— Oui, concéda Ernaut, un peu surpris à l’invitation de s’asseoir en présence d’un tel baron. Ernaut de Vézelay.

— Un Bourguignon ! Peut-être devrais-tu dire de Jérusalem, maintenant que tu t’es juré à notre roi. »

Il assortit sa remarque d’un sourire amical.

« J’ai demandé à te voir, car toute cette enquête se déroule en les terres de mon sire Amaury. Ce qu’en dit le sire évêque me semble pour le moins… tronqué. Il me faut avoir meilleure vision de toute l’affaire. »

Ernaut lui résuma une nouvelle fois l’histoire, telle qu’il la comprenait, en y ajoutant plus de détails sur ses doutes et les manques qu’il voyait dans l’enquête, en particulier la méconnaissance du commanditaire des travaux de Waulsort. Il évoqua aussi plus longuement la possible connexion avec le prélat proche de l’empereur des Allemands. Sans oublier de mentionner son idée de camoufler les événements derrière une miraculeuse découverte. Qu’au moins quelques-uns sachent d’où venait vraiment cette suggestion.

« Tu as la cervelle bien habile pour simple sergent. Es-tu fils caché de quelque baron ?

— Mon père est important vigneron et il nous a fait instruire, avec mes frères, chez les prêtres de Sainte-Marie.

— Il serait de certes fier de ce que je vois en ce jour, adoncques. »

Ernaut accepta le compliment de bonne grâce. Guy lui sembla soudain plus sympathique. Un muguet de Cour, mais qui savait reconnaître les gens de valeur.

« En as-tu dit la même râtelée au sire patriarche ou à l’évêque ?

— Peu ou prou, oui. Il m’avait été indiqué que j’étais là-bas à leur demande, la couronne rendant service à l’Église.

— Certes, certes. Mais il te faut te ramentever à chaque instant que ta fidélité va avant tout au sire roi, pas à un clerc, fut-il le meilleur ami de Baudoin. »

Ernaut commençait à se demander si Guy était vraiment au service d’Amaury. Tout le monde connaissait la bonne entente entre les deux frères, mais que le sénéchal de l’un sermonne les hommes de l’autre lui semblait étrange.

« Quoi qu’il en soit, il n’y a là rien de bien grave. Tu t’es assez plaisamment sorti de cette histoire, étant donné les circonstances. Régnier ne s’y était pas trompé. »

Il se pencha vers Ernaut, croisant les doigts en baissant la voix.

« Vu que tu es fils de vigneron, tu dois assavoir que le vin tiré doit être bu. Tu vas donc t’en retourner à Lydda et faire en sorte de récupérer ce que tu peux des notes et des affaires du chanoine Waulsort. Ton idée de laisser entendre que l’histoire serait due à quelque démon est excellente, fais en sorte qu’elle se propage. De la façon la plus grossière sera le mieux. Que les pérégrins en aient pour leur argent. Je ferai en sorte aussi de faire connaître l’anecdote. Cela ne pourra que faire affluer les visites et les dons au sanctuaire, ce dont tout le monde bénéficiera au final. C’est donc là bien pieux mensonge… »

Voyant qu’Ernaut se trémoussait sur son siège, il s’interrompit et l’invita à s’exprimer.

« Je ne suis pas certain que je puisse vous rapporter les affaires du chanoine. Tout le monde semble s’entendre là-bas pour dire que nul ne doit les voir, et qu’il serait peut-être profitable, même, de les faire définitivement disparaître.

— Où les recèlent-ils ?

— En une petite chambrette, fermée à clef.

— Alors en ce cas, tu trouveras quelque prétexte pour y retourner et faire copie de tout ce qui te paraîtra pertinent.

— C’est que je n’entends guère les lettres, sire Guy. Et certes pas les langues dans lesquelles tout ça est rédigé.

— Nous t’adjoindrons le même scribe que précédemment. Tu n’auras qu’à lui dire qu’il est besoin de ces textes pour le service du roi. Outre, cela évitera à de nouvelles personnes d’y porter les yeux. »

Ernaut acquiesça puis redemanda la parole, que Guy lui accorda.

« L’évêque Constantin voudra de certes en savoir plus sur ce que je fais là-bas. Il m’a semblé assez… sourcilleux sur ses privilèges.

— Il ne faut certes pas lui faire penser qu’aucun d’eux serait écorné. Tu n’as qu’à lui dire que le roi a besoin de connaître l’homme qui payait Waulsort, qu’un tel espion ne saurait être toléré en le royaume. Mais tu t’emploieras plutôt à collecter le savoir du chanoine.

— Sans me mettre en chasse de celui qui menait dans l’ombre ?

— Nul besoin de s’épuiser à cela. Il a sûrement déjà battu le rappel et ses chiens s’emploient de certes à effacer ses traces avec frénésie. En apprendre autant que lui sur cette arme de guerre me paraît plus urgent. N’en parle à personne et ne fais rien qui pourrait éveiller les soupçons quant à l’intérêt que cela représente pour la couronne. Officiellement tu ne fais que continuer l’enquête sur un espion qui aurait partie liée à la mort du chanoine, rien de plus.

— À qui dois-je en référer, sire ?

— À moi et uniquement à moi. Si jamais je ne pouvais t’entendre, je te dépêcherai coursier avec un signe valide de reconnaissance. »

Ernaut hocha le menton. Son enthousiasme à se voir confier une vraie mission secrète se teintait d’une légère angoisse à l’idée que tout cela fut justement si discret. Il lui faudrait faire attention à chacune de ses paroles et il lui semblait que face à lui se trouvaient de si formidables puissances qu’elles ne prendraient guère de gant pour traiter avec un simple sergent, aussi colossal que fût son gabarit. Ce fut donc d’une voix bien moins fanfaronne que d’habitude qu’il répondit.

« Quand dois-je me mettre en route ? Ce jour ?

— Il y a beaucoup d’ouvrages ces temps-ci à la sénéchaussée. Sans compter les fêtes. Si nous courions trop vite à Lydda, cela pourrait mettre la puce à l’oreille que c’est là chose de première importance pour nous. Il faut qu’on ait l’impression que des messages sont allés et venus, et que c’est bien là décision du roi, inquiet d’une espie. Mais si nous tardons trop, nous prenons le risque que tout soit détruit, ainsi que tu l’as dit. »

Le sénéchal réfléchit un petit moment.

« Le mieux serait entre Noël et l’Épiphanie. Je verrai avec le sire Jean d’Acre qu’il te mande d’ici une semaine environ. »

Jérusalem, demeure de Droart, soirée du jeudi 25 décembre 1158

La maison résonnait des cris des enfants excités par la fête, des voix des hommes s’interpellant tandis qu’ils faisaient rouler les dés, déplaçaient les pions ou narraient leurs anecdotes à quelques compagnons. Droart avait convié des amis pour les célébrations de la Noël. Après s’être tous rendus au Saint-Sépulcre pour y assister à la grande messe solennelle, ils s’étaient retrouvés chez lui, profitant des nombreuses salles, dont la majeure partie nécessiterait encore de longs et coûteux travaux. Ils allaient et venaient entre l’intérieur et l’extérieur au rythme de l’échauffement des danseurs ou des jeux pratiqués.

Plusieurs pièces de viande avaient été apprêtées pour l’occasion, ainsi qu’un large éventail de pâtés commandés aux alentours. Chacun avait porté de quoi agrémenter le festin, depuis les sauces doucereuses, sucrées ou relevées jusqu’aux compotes de fruits ou aux biscuits au miel. Et, bien sûr, de grandes quantités de boissons avaient été préparées, que ce soient des vins trempés d’épices ou de la petite bière brassée chez soi, chacun pouvait trouver de quoi flatter son palais.

Droart profitait de la fête pour faire visiter les ruines et les chantiers, auxquels nombre de ses amis participaient.

« J’avoue que j’ai eu plus gros yeux que gros ventre, mais ce sera bonne rente pour les enfants. Il y aura de quoi louer échoppes et hostels, voire implanter un bel endroit de négoce…

— Tes fils vont finir à la Cour, mais pas aux ordres du mathessep. Ils seront là-bas jurés de bon rang, s’amusa Eudes.

— Moque, moque ! Mais le Houdard sait déjà fort bien compter.

— Il a bon maître, je ne connais guère de sergent plus apte à faire de deux et deux cinq » se gaussa Abdul Yasu, un autre de leurs compères.

Il était fort commun de graisser la main aux hommes du roi pour obtenir de petites dérogations ou facilités, et chacun en retirait de quoi mieux nourrir sa famille ou s’offrir bons repas en quantité. Mais Droart avait érigé cela en art, habile à organiser ses affaires et à rendre service là où il y gagnerait le plus de remerciements. En espèces sonnantes et trébuchantes parfois, mais surtout en amitiés voire en parts dans les transactions qui lui permettaient d’accumuler à grande vitesse. Certains de ses intimes s’inquiétaient qu’un jour on lui en fasse reproche. Il n’accordait jamais aucune importance à ces remarques, confiant dans le fait qu’il ne franchissait aucune limite et, surtout, veillait à ne pas trop s’acoquiner avec des personnes de mauvaise renommée.

Avec un petit groupe, ils visitaient le chantier d’une boutique qui posséderait une pièce de stockage à l’arrière, une salle et une terrasse au-dessus, le tout ouvrant dans un ancien souk, où se tenait un marché vivrier ainsi que quelques artisans potiers. Il y travaillait depuis plusieurs semaines, mais avait ralenti avec l’hiver et le froid. Il lui fallait en outre acheter des poutres, élément de prix et de poids, afin de relever les deux niveaux effondrés. Il avait simplement éliminé les gravats, en avait retiré ce qui pouvait être réutilisé ou revendu et commençait à peine à remonter les parties internes abîmées.

« J’apensais qu’il pourrait s’y installer quelque maître œuvrier, proposant paniers et nattes, filets et sacoches. Il s’en trouve toujours un manque quand on vient en ces quartiers. À voir si je ne pourrais pas m’associer avec lui plutôt que d’en exiger fort loyer.

— Le cens du roi n’est pas trop élevé ?

— Certes pas et c’est aussi pourquoi je préfère avoir une part dans le commerce de ceux à qui je loue. Ils n’ont pas tant besoin de courir la piécette pour me payer mon dû. Et il y a toujours espoir d’en gagner plus, ce qui est profitable à tous.

— Tu pourrais quitter le service de l’hostel du roi, maintenant que te voilà ceinturé de biens comme baron royal, proposa Ernaut.

— Bien au rebours, mon ami. Je fais ma pelote justement parce que j’y suis. J’en fais figure de graisse sur l’essieu, qui irait fort mal allant en grinçant. »

Il assortit sa réponse d’un clin d’œil et continua à la traversée des zones emplies de décombres. Le quartier avait longtemps hébergé des juifs et la prise de la ville par les Latins en avait fait fuir un grand nombre pour les territoires sous protection musulmane. Divers endroits s’étaient abîmés, d’autres avaient été convertis en jardins. Droart en possédait d’ailleurs un de bonne taille, qu’il arrosait grâce à une large citerne dont on lui avait vanté la contenance lors de l’achat. Il avait le projet de la curer, afin que l’eau s’y trouve moins souillée. Sans compter qu’on y découvrait toujours quelques surprises étonnantes, voire de valeur.

Alors qu’ils revenaient vers le bâtiment principal, dont seuls deux niveaux étaient occupés par Droart et sa famille, le troisième étage et les communs demandant encore des travaux, Ernaut se rapprocha de son ami.

« Si d’aventure tu connais quelques honnêtes et bons négociants qui recherchaient petitime associé, n’hésite pas à m’en parler.

— Serait-ce là ton labeur secret pour nos maîtres en ces temps de cens ? On murmure fort sur tes allers et venues entre les palais et ton voyage à Lydda. Raoul n’a pas desserré les dents à ce propos, ce qui rend d’autant plus curieux.

— Il nous en cuirait fort d’en trop parler, mon ami. Mais ce n’est pas de là que vient mon regain. J’ai enfin touché la somme promise pour les coups reçus à l’été, peu après la Toussaint. Me voilà en mesure de faire de quelques livres bons tonneaux3) !

— À la bonne heure, voilà sergent selon mon cœur, qui aspire à plus haut rang.

— Il en est qui ont le col tranché à trop se le hausser, Droart, objecta Baset, qui venait de les retrouver.

— C’est le souci avec toi, compère, le gourmanda gentiment Droart. Tu vois en chaque chose la ténèbre avant que d’en voir la lumière.

— Peut-être parce que Dieu a voulu ma vie ainsi. »

Droart et ses amis lui accordèrent un sourire, sachant que leur collègue traversait une mauvaise passe en cette fin d’année. Il n’était pas si exubérant et chaleureux que chacun l’aurait voulu, mais se montrait de temps à autre assez bon compagnon. Il était sans nul doute un des plus honnêtes hommes de la Cité et pour cela chacun s’accommodait de son caractère souvent austère, voire déprimant. Ernaut ne s’entendait guère avec lui, mais le tolérait, parce que c’était un vieux compère de ses nouveaux familiers. Il reconnaissait toutefois à Baset une certaine rigueur qui faisait qu’il prenait ses tâches très au sérieux et n’hésitait jamais à indiquer comment faire les choses. Avec parfois tant de sérieux et si peu de souplesse dans son enseignement qu’on ne le sollicitait pas tant qu’il serait profitable.

Ils rejoignirent la zone où l’on dansait, quelques visiteurs ayant pris soin de se munir d’instruments de musique. Un branle endiablé résonnait dans la cour, entraînant un bon groupe, adultes et enfants mêlés, ces derniers compensant leur manque de compétence par un enthousiasme redoublé. Ernaut accompagna Droart et Eudes jusqu’à un tonneau mis en perce, où ils se servirent un pichet de bière fraîchement brassée. La mousse, épaisse, en accentuait les arômes. Droart l’avait récupéré des Indes, comme il aimait à le dire, ce qui signifiait que c’était le fruit d’une de ses innombrables tractations.

Droart invita ses deux amis à s’installer auprès de lui, sur un banc branlant qu’il avait tiré des décombres, encore gras de plâtre et de poussière. Ernaut s’y assit avec un brin d’appréhension tellement l’objet lui semblait fragile.

« Quoi qu’il en soit, je voulais te dire, Ernaut, qu’il se dit force bien de tes récents voyages. J’ai ouï parler en termes fort élogieux de toi. Il va te falloir prendre garde à ce que tu ne t’attires pas quelques jalousies en l’hostel, à briller si fort et si vite !

— Qui donc as-tu entendu ?

— Le sénéchal, l’autre jour, a reçu sire d’Eaucourt et lui a conté par le menu que son absence n’avait finalement causé nul préjudice. Le chevalier se sentait fort mal à l’aise de n’avoir pas servi comme il était prévu. J’encrois d’ailleurs qu’il en garde quelque mauvaise dent au maréchal. En tout cas, il a convenu que tu étais de l’acier dont on fait les plus belles lames.

— Pour peu que la trempe ne te voie pas finir tout rompu ! plaisanta Eudes.

— Voilà beau conte qui sonne gaiement à mes oreilles, compères. Il en est de tout cela comme d’un essaim fort bourdonnant, dont on sait qu’on pourrait tirer quantité de bon miel, mais peut-être aussi y gagner méchantes piqûres. »

Droart opina sans plus rien en dire. Sa curiosité le poussait à ne pas s’en contenter, mais Eudes l’avait déjà repris à plusieurs reprises sur le sujet. C’était faire courir de trop grands risques à Ernaut, estimait Eudes. Il voyait bien que leur jeune ami brûlait d’envie de partager son secret, mais si les compliments pleuvaient pour l’instant, ils tourneraient bien vite à l’aigre s’il faillissait à la confiance qu’on avait placée en lui.

« Je dois d’ailleurs m’en retourner à Lydda dès avant l’Épiphanie, indiqua Ernaut. Il m’y reste broutilles à achever pour dire que tout cela est bien fini.

— Ne serait-ce pas que tu espères échapper aux corvées de compte et de tri ? railla Droart. Bien pratique ces chevauchées au loin tandis que nous devons lever les cens de la Noël !

— Je confesse volontiers ne pas regretter de m’absenter en ces affaires ! Je laisse compter les monnaies à qui les aime mieux que moi ! »

Dehors, le soleil commençait à diminuer et, le jour ne pénétrant que faiblement dans la maison, quelques enfants passaient de pièce en pièce afin d’y allumer les nombreuses lampes apportées pour ce jour de liesse. Les danseurs s’étaient calmés et refluaient tous à l’intérieur maintenant que les températures se faisaient plus froides. Rapidement la nuit allait tomber. Quelques hommes montèrent des tables pour s’y installer autour d’un plateau ou de dés, tandis que les plus jeunes prenaient place devant un spectacle improvisé de marionnettes.

En réprimandant les plus impatients qui picoraient dans leurs plats alors qu’elles passaient, plusieurs femmes déposèrent de quoi se restaurer sur une longue planche fixée au mur par une rangée de crochets de métal. De nombreux tranchoirs, parfois du simple pain non levé, étaient proposés dans des paniers afin de s’en faire des assiettes.

« Tu seras revenu pour la distribution de linges de l’Épiphanie, Ernaut ?

— Je ne sais pas encore. La tâche peut s’achever en une journée ou s’éterniser. Cela ne dépend pas de moi.

— Tu dois te sentir comme chevalier en son fief, à ainsi paonner sans nul vicomte ni mathessep pour te gourmander.

— De certes, j’aime à pouvoir ainsi galoper sans frein. Mais j’avoue que l’exercice est fort périlleux et je regrette fort nos veillées. Sans bons compères, nul ne peut tant apprécier son chemin. »

Droart et Eudes acquiescèrent et trinquèrent de leur verre en agrément.

« Nous ne savons rien de ce que tu fais au service le roi, Ernaut, et n’avons aucun besoin d’en apprendre quoi ou qu’est-ce pour te prêter la main si le besoin s’en fait, lui confia Eudes.

— Oui-da, corne haut et fort tel Roland et nous accourrons pour t’assister » approuva Droart.

Puis il ajouta, une lueur de malice dans l’œil.

« Après, peut-être te faudra-t-il nous en conter plus sur l’histoire, aux fins que nous te soyons bien utiles ! »

Lydda, palais épiscopal, fin d’après-midi du samedi 27 décembre 1158

Ernaut et Raoul eurent la malchance d’être accueillis à leur arrivée dans la plaine de Jaffa par une brutale averse née de la mer, venue mourir sur les reliefs orientaux. Ils avaient donc terminé leur voyage trempés comme des soupes, refroidis par le vent du large. Lorsqu’ils se présentèrent au palais, on leur indiqua que l’évêque n’était pas dans les murs, mais qu’il les recevraient dès que ça lui serait possible. Ils eurent ainsi tout le temps de se sécher et de changer de vêtements. Signe de la faveur dont ils jouissaient désormais, un jeune serviteur leur proposa d’étendre leurs effets auprès des feux de la cuisine.

Ils étaient donc pleinement remis des aléas de leur chemin quand Constantin les convoqua. On les mena jusqu’à sa chambre, où il se trouvait installé à une table de travail lorsqu’ils pénétrèrent. Constantin était occupé à examiner différents documents, l’air concentré, tandis que son petit singe grignotait quelques amandes et pistaches dans un bol en bordure de plateau. À leur arrivée, celui-ci bondit en direction du lit dans les replis duquel il disparut.

Bien qu’il les ait vus entrer et salués d’un signe de tête, le prélat ne leur lâcha pas un mot. Il paraissait fort absorbé dans sa tâche et notait de temps à autre d’un trait rapide quelques éléments sur une tablette de cire ou un papier. Puis il reposa le tout, apparemment satisfait d’avoir achevé une importante mission. Sa mine se grisa bien vite lorsqu’il s’adressa à eux, impatient de savoir pourquoi ils revenaient, peut-être avec une nouvelle déplaisante.

« Soyez assuré, sire évêque, que nous n’apportons céans rien de neuf, bien le rebours.

— Que me dépêche-t-on messager sans message ?

— Il se trouve que l’hostel du roi pense qu’il me faudrait étudier la chose plus avant pour que se fasse jour le nom du mystérieux ordonnateur de tout cela.

— Cela n’était donc pas le service du roi qui motivait ces travaux ? »

En l’exprimant, l’évêque affichait clairement sa déception à voir ses espoirs contrariés.

« Il n’est que de le confirmer, sire. Rien ne m’a été confié, je ne suis là que pour finir de sentir la trace, tel bon mâtin.

— Et comment comptes-tu t’y prendre ? J’aspirais à ce que tout cela soit enfoui bien loin en nos cœurs et ne pèse désormais plus sur nos âmes.

— Il n’y aura guère embarras pour vous, sire Constantin. Le sénéchal a bien insisté sur ce point. Il me faudrait surtout avoir accès de nouvel aux affaires du chanoine, ainsi qu’à celles du père Gonteux, si vous en êtes d’accord.

— J’espérais me débarrasser au plus vite de ces impies travaux, mais tu as de la chance, je n’en ai pas eu le temps, ayant fort importante tâche en ces jours. »

Il désignait la table encombrée de documents, dont Ernaut se demandait s’ils concernaient son fief ou son évêché, voire les deux. Le jeune sergent se dit qu’il devrait peut-être mettre un peu de baume aux plaies du vieil homme, qui pourrait lui en savoir gré.

« Mon sire le sénéchal a aussi indiqué que nous devions nous assurer que rien du secret du chanoine ne transpire, de veiller à ce que rien n’en demeure.

— Un autodafé ? Ce n’est guère discret ! Je pensais plutôt enfermer tout sous bonne garde, à charge pour un pieux pasteur d’en connaître le contenu pour ne pas en laisser le mal se répandre.

— Il se peut que l’hostel le roi puisse disposer de tout cela, si vous y concédez. »

À la proposition, l’évêque souleva un sourcil fort étonné et y réfléchit quelques instants, avant de secouer le menton énergiquement, faisant trembler ses bajoues.

« Il s’agit là de savoir de clerc et il n’en est de meilleur garde que cléricale. Son danger ne touche pas seulement les corps, mais aussi les âmes. Il est de mon devoir de n’en pas disposer avec légèreté. »

Ernaut avait espéré un temps s’acquitter aisément de sa mission de collecte, s’assurant un succès facile qui lui aurait peut-être valu encore plus de louanges. Raoul en serait quitte pour recopier ce qu’il en comprendrait.

« Ne dites rien de ce point à quiconque des chanoines même. Nous évoquerons le fait demain et je vous dirai ce que nous aurons convenu avec le doyen. Tout cela est son affaire, aussi. C’est à lui que revient de s’occuper des affaires du père Waulsort.

— À ce propos, en sait-on plus sur ses héritiers ?

— Non, il était arrivé en Outremer jeune clerc, après avoir parcouru de nombreux pays. Il était de bonne famille, mais lointaine. Je n’ai pas connaissance qu’il ait jamais reçu un sien depuis qu’il était chanoine. Mais il écrivait beaucoup.

— Le clerc des Alemans que vous aviez évoqué, parce que récemment rappelé à Dieu, était-il de sa parentèle ?

— Certes non ! Le père Wilbald de Stavelot appartient au monde des princes et des barons, tout au rebours de ce pauvre Waulsort, simple clerc sans puissantes attaches. »

Ernaut hésita à poursuivre sur le sujet, puis renonça, craignant qu’il ne soit trop délicat à aborder. Mais comme l’évêque aperçut son atermoiement, ce dernier l’invita à formuler son interrogation à voix haute.

« Je me demandais si vous aviez appris d’autres choses sur cet éminent prélat. Quoi que ce soit qui pourrait avoir partie liée à… l’histoire qui s’est déroulée ici.

— Le pays des Alemans est bien loin d’ici, il nous faudra des mois avant d’en savoir plus, mon garçon. Et tu l’apprendras peut-être avant que je n’en sache rien, vu que tu appartiens à l’hostel du roi et que Baudoin passe la Noël avec l’empereur des Griffons, dont on sait qu’il est toujours fort sourcilleux des Alemans. »

Découvrant le front perplexe d’Ernaut, l’évêque adopta un ton professoral, familier qu’il était des sermons, leçons et édification des fidèles.

« Manuel, actuellement à la tête des Griffons, a forte partie avec le sire de Sicile, qui se verrait bien tailler nouveaux fiefs en ses rivages voisins de Grèce. Et comme ce dernier a souvent maille à partir avec le roi des Alemans, il n’est pas étonnant qu’il soit toujours à guetter les mouvements et atermoiements du Nord. C’est là connaissance fort élémentaire pour quiconque a eu, comme moi, l’honneur de fréquenter la curie romaine. »

Considérant les deux jeunes sergents face à lui, l’évêque se dit qu’il ne serait pas mauvais qu’ils rapportent de lui et de son pouvoir une image plutôt flatteuse. Cela pourrait servir ses intérêts dans la cause dont il espérait que le roi et la haute Cour trancheraient à son avantage au détriment du seigneur de Rama. Il leur conta donc, de façon assez précise le voyage qu’il avait fait auprès du pape avec le patriarche précédent, Foucher d’Angoulême.

Pour n’en comprendre peut-être pas tous les détails, et assez mal le paysage politique que cela représentait, Ernaut s’y forgea une vision beaucoup moins monolithique des clercs que celle qu’il avait développée jusque là. Il découvrait que, pas plus que chez les barons et les rois, il n’y avait d’unité. Si le Pape estimait qu’il était le plus éminent représentant de Dieu sur terre, ses aspirations étaient régulièrement contestées par d’autres ecclésiastiques. En outre, par le fait qu’il soit aussi un seigneur temporel ayant de nombreux biens et domaines à gérer et défendre, il se trouvait doublement impliqué dans les intrigues européennes au plus haut niveau.

La vision lui donna un peu le tournis, tout en l’assurant de la puissance et de l’importance de l’homme qui lui narrait anecdotes et précisions diplomatiques avec un art consommé de la formule. Pour être astucieux et armé d’une solide répartie, Ernaut ne pouvait nullement rivaliser avec un vieillard expérimenté, formé aux meilleures écoles de rhétorique, habitué à forger des discours dès l’âge où les chevaliers commencent à monter en selle. Il en conçut un peu de dépit, découvrant soudain la béance de son ignorance sur le sujet.

Alors qu’il était parti dans des circonvolutions sans fin, l’évêque fut interrompu par le son clair des cloches. Un peu noyé dans la logorrhée et agacé de voir son inculture pareillement révélée, Ernaut espérait que l’annonce d’un office allait mettre un terme au pénible énoncé. Pourtant Constantin poursuivit encore un moment, n’ayant été que peu troublé par l’appel à la prière et ne manifestant aucune intention de s’y rendre. Lorsqu’il acheva enfin son exposé, il s’offrit une longue rasade. Estimant que l’essentiel était dit, il leur donna congé et se replongea dans l’étude de ses documents.

Lorsqu’ils sortirent du bâtiment, retournant vers la petite cellule qu’ils s’étaient vu affecter, Ernaut se tourna vers Raoul.

« Qu’apenses-tu de tout ce qu’il nous a dit à propos des Alemans et des Griffons ? »

Le jeune scribe se mit à rire.

« J’en dis que comme tous les prélats que l’on encontre à la Haute Cour, il n’a de cesse qu’il n’ait mis dix mots là où un seul aurait suffi.

— Il nous a brossé fort importante fresque de ce qui pourrait se tramer en derrière de nos affaires ?

— Je n’en saurais dire, il m’est apparu qu’il se trouve face à épineux problème. Il retrouve alors ses habitudes cléricales, à gloser sans fin sur chaque petite chose. Le discours remplace souventes fois l’action, voire la décision chez ces animaux-là. »

Il se figea, stoppant son compagnon d’un geste sur le bras.

« Par contre, il a semé scintillante gemme en son bourbier. Y as-tu pris garde ?

— Je t’avoue que je n’en retiens que salmigondis.

— Haha. Quand tu auras comme moi l’oreille exercée à la parlature des gens de Cour, tu sauras y trier bon grain de l’ivraie.

— Et en nos histoires, qu’en gardes-tu ?

— Le grand abbé dont Waulsort était fort ami, est mort alors qu’il s’en revenait de chez les Griffons. Et de si étrange façon qu’on a parlé d’empoisonnement. »

Ernaut écarquilla les yeux.

« Il a dit ça ?

— Pas en termes aussi clairs, mais on peut en comprendre cela.

— Mais c’est là information de grande importance. Si on a poisonné l’abbé, on aura peut-être cherché à éliminer son ami pour identiques raisons.

— Tout à fait. Mais l’évêque ne semble pas croire cela, il en a parlé avec grande légèreté. Et ne s’en soucie guère.

— Il nous a pourtant narré fort longuement ce qu’il en était entre les royaumes. »

Raoul s’esclaffa et secoua la tête.

« Il a déclamé prou, mais sans vraiment y pourpenser. Tout le temps que nous y étions, il n’avait d’yeux que pour ses tablettes et documents.

— Il s’y trouve peut-être quelque information d’importance en notre affaire.

— Absolument pas. J’ai essayé de lire, cela ne concernait que des chameaux !

— Des chameaux ? De quoi me parles-tu là ?

— Tu ne sais donc pas ? C’est de bonne fame pourtant : l’évêque de Lydda est fort épris de ces animaux, dont il organise des courses avec les plus belles bêtes qu’il achète aux nomades ou fait venir à prix d’or des sables du sud. »

Ernaut éclata de rire. L’évêque était plus enclin à s’adonner à son inoffensive marotte qu’à se plonger dans leur enquête. Ils pourraient donc fouiller tout à loisir, tant qu’ils ne heurteraient pas son autorité. Il tapa dans le dos de son compagnon, l’invitant à se laver les mains. Avec un peu de chance, le repas du soir n’allait pas tarder à être servi. Il se sentait un appétit d’ogre après cette mauvaise journée à se mouiller en selle.

Lydda, palais épiscopal, fin de matinée du dimanche 28 décembre 1158

Sachant qu’ils ne pourraient rien faire sans obtenir l’aval préalable du chapitre canonial, Ernaut avait flemmardé au lit, n’en sortant que poussé par la faim. Lorsqu’il avait ouvert les yeux, Raoul était déjà levé et avait déserté la chambre. Il prit malgré tout son temps, profitant de la moindre activité dans les lieux, maintenant que les fêtes étaient passées et avant que le chantier ne redémarre. Il avait retrouvé Raoul pour la messe, à laquelle ils avaient assisté tous les deux. Ils s’étaient ensuite installés dans le cloître, au cas où les chanoines auraient eu le désir de les interroger sur l’enquête en cours.

Ne voyant rien venir, Ernaut proposa à Raoul d’attendre là un moment tandis qu’il allait faire un petit tour. Il n’aimait pas particulièrement rester sans rien faire et préférait sentir ses jambes fonctionner plutôt qu’exercer sa patience. Il se dirigea donc vers le cimetière, pour y faire une courte prière pour Herbelot, puis baguenauda dans les jardins. Nul valet ne s’y activait, à la fois parce que c’était dimanche et parce que, pendant les célébrations, beaucoup avaient obtenu l’autorisation de s’absenter. L’endroit était particulièrement tranquille, une brise légère caressant les branches. Ernaut appréciait le climat très doux du royaume durant l’hiver, en particulier vers la côte.

Lorsqu’il repassa vers les communs, il aperçut de nombreux domestiques qui semblaient revenir de loin, encore équipés de leurs tenues de voyages et, pour certains, une balle ou une hotte sur le dos. Il eut soudain l’idée de s’enquérir de ceux qui avaient débarrassé les affaires de Waulsort. On lui indiqua un des valets, présentement occupé à un petit jardin qu’il entretenait, visiblement par plaisir autant que pour les légumes qu’il en tirait. En fait de lopin, Ernaut découvrit un carré fort bien soigné, même s’il était modeste, calé entre la muraille et les bâtiments de service.

L’homme ne semblait pas très âgé, mais, courbé avant son temps, il avait le visage fatigué et les paumes crevassées du travailleur manuel. Ses cheveux, plus sel que poivre, étaient assez longs et plutôt négligés, comme sa personne. Il avait lacé une vieille pièce d’étoffe en guise de tablier et s’activait à biner la terre d’une petite zone avec une houe de bois. Il suspendit son geste en voyant arriver l’imposant gabarit d’Ernaut, l’accueillit d’un sourire en partie édenté.

« La bonne journée. Tu es bien Bertaut ?

— Ça s’pourrait bien. T’y veux quoi ?

— On m’a dit que tu as aidé à vider la maison de Waulsort. Est-ce bien vrai ?

— P’têt bein, et pouquoi qu’tu veux le savoir, jeune ?

— Un de mes amis lui avait prêté un ouvrage d’importance et souhaiterait le récupérer…

— Hou là, moi j’en sais rien, j’ai porté sacs et paniers, j’en sais pas plus. Vois donc avec not’ sire Constantin.

— Justement, il m’a permis de voir ce qui était dans la cellule, je ne l’y ai pas vu. Peut-être l’a-t-on mis ailleurs ? Pourrais-tu m’en conter sur comment ça s’est passé ce jour là ? »

Bertaut s’appuya sur sa houe, se gratta le nez et envisagea le géant face à lui. Peut-être était-il plus finaud qu’il n’en avait l’air, ce qui ne constituait pas un vrai exploit vu sa piètre allure.

« Moi j’y sais rien des livres et rouleaux. J’ai même pas touché à ces affaires-là ! J’ai surtout nettoyé. On m’file toujours les sales besognes. C’est moi qu’ai porté l’eau pour nettoyer le sang…

— Le sang ? Ne put retenir Ernaut, surpris par la remarque.

— Oui, et alors que des plus jeunes étaient là, qui…

— On m’a narré que le pauvre chanoine avait été brûlé !

— Ça, de sûr ! Mais y avait aussi du sang, tout brûlé qu’on aurait dit du boudin. Je connais bien cette affaire, à avoir prou tué le cochon. »

Ernaut était complètement pris au dépourvu par l’affirmation. Jamais personne n’avait mentionné le fait qu’il y avait du sang.

« Tu es certain de toi ?

— Un peu, oï ! On a vite frotté, que les clercs qui v’naient voir les écrits ne salissent pas leurs souliers. Tout était rendu propre avant qu’y z’entrent. Mais y’avait du sang, aucun doute ! »

Il prit un air matois, comme s’il avait une remarque d’importance à ajouter, se pencha un peu vers Ernaut et continua, un ton de conspirateur dans la voix.

« Si ça se trouve, le père Waulsort, il aura fait v’nir un dragon, du genre de not bon saint Georges. Et si c’te bête, elle crache du feu, c’est p’t’être pour préparer sa mangeaille. En les croquant, elle aura fait jaillir le sang. »

L’information était capitale pour Ernaut. Il ne croyait pas un instant à l’idée formulée par Bertaut, même s’il l’écouta avec un sourire d’agrément. Il demeurait toujours possible que l’accident qui avait gravement brûlé les deux hommes ait par ailleurs causé des blessures, mais si du sang avait coulé en assez grande quantité, cela pouvait aussi indiquer que des violences leur avaient été faites.

Pris de vertige à cette éventualité, Ernaut se mit à échafauder des hypothèses folles. Il lui fallait absolument éclaircir ses idées, peut-être en échangeant avec Raoul. Si Waulsort avait été tué par meurtre, l’incendie avait très bien pu servir à camoufler certaines choses. Il était quasiment certain que ce n’était pas un feu normal. Qui donc aurait intérêt à inventer pareille mise en scène ? S’il n’était si affolé par la moindre agitation dans ses terres, Ernaut aurait bien pensé qu’un ecclésiastique comme Constantin était tout désigné. Pour avoir grandi sous la férule de prêtres assez peu enclins au dialogue, jusqu’à engendrer la violence, Ernaut avait des hommes d’Église une image plutôt négative.

Il demeurait que c’était Constantin qui avait appelé à l’aide et il était catastrophé à l’idée que la mort de Herbelot puisse n’être pas accidentelle. Était-ce la culpabilité d’un intrigant qui voyait les choses lui échapper ? De toute façon, même s’il était à l’origine de l’histoire, ce n’était certainement pas lui qui avait opéré nuitamment. Tout le monde connaissait sa silhouette dans les environs, sans compter qu’il n’était pas du genre à aller faire quoi que ce soit directement. Il était habitué à être servi.

Se pouvait-il qu’Aymar et sa bande soit ceux qui auraient exécuté les desseins d’un prélat ambitieux ? Nul à la cour, à Jérusalem n’ignorait combien Constantin de Lydda était âpre et déterminé dans les questions de préséance qui l’opposaient aux Ibelins, seigneurs de Rama.

Ernaut prit conscience de l’importance de la récolte des informations matérielles sur les circonstances d’une telle mort. Régnier d’Eaucourt lui avait montré la voie, sur le Falconus4) et cela lui avait alors semblé d’évidence. Mais il avait failli à cette règle de collecter tout ce qui était possible du lieu même où les choses s’étaient déroulées. Il se résolut de ne plus tomber dans ce travers si le cas devait se représenter. Il lui faudrait étudier de ses yeux l’endroit, comme ils l’avaient fait avec Herbelot et Régnier, ou, à défaut se contenter de questionner précisément les personnes qui en avaient bouleversé l’ordonnancement. Il y avait une histoire à reconstruire derrière les vestiges demeurés là et, sans un glanage habile, il n’en pourrait moudre aucune farine.

Voyant son interlocuteur perdu dans ses pensées, Bertaut avait repris sa tâche de désherbage. Ernaut remercia du bout des lèvres le valet et retourna vers le bâtiment où il espérait retrouver Raoul. Il continuait de recenser les choses dont il estimait jusque là qu’elles étaient peu ou prou établies, pour les remettre dans la balance de son jugement. Quoi qu’il en soit, il demeurait une inconnue qu’il faudrait découvrir : la façon dont ce feu était apparu et s’il s’agissait bien d’une mystérieuse substance née de l’imagination d’un érudit inventif. Car cela pouvait tout aussi bien être un banal accident qu’avoir servi à camoufler un sordide assassinat. Et préluder à la mort de Herbelot, qui en devenait suspecte par la même occasion.

Il retrouva Raoul installé sur un des murets du cloître, affairé à aiguiser un petit canif qui ne le quittait jamais. Ernaut se moquait souvent de ne le voir jamais le sortir lorsqu’ils avaient besoin de couper, refusant d’admettre qu’en entamer le fil le rendrait moins efficace pour tailler les plumes avec lesquelles Raoul s’enorgueillissait de noircir les feuilles.

Ernaut l’interrompit, chuchotant plus qu’il n’était nécessaire, inquiet d’éveiller l’intérêt d’éventuels curieux. Personne n’était aux alentours, sauf un jardinier en train de soigner de petites haies de buis.

« Je viens d’apprendre une fort importante chose en notre affaire, Raoul. Le chanoine et son valet ont sûrement été meurtris de violente façon.

— Que chantes-tu là ? N’avons-nous pas convenu que c’était accident, fort dommageable, mais simple accident néanmoins.

— Sauf qu’un des valets qui ont vidé la demeure m’a affirmé en avoir nettoyé le sang qui s’y trouvait au sol.

— C’est peut-être arrivé durant l’accident, qu’en savons-nous ? En as-tu appris des détails, de ce valet ?

— Je n’ai guère eu le désir de trop attirer sa curiosité sur moi. Nous ne sommes pas censés parler de ceci à quiconque et, outre, l’affaire est entendue, du moins pour l’évêque. S’il apprend que nous musardons en posant délicates questions, son ire risque d’être terrible. Il nous faut demeurer plus cois que pierre en tout cela. »

Raoul hocha le menton. Il était d’une discrétion à toute épreuve, peu habitué à jouer un rôle actif. Il lui convenait parfaitement d’être tenu à la marge, où il savait qu’il était moins remarqué. Se prendre pour un enquêteur l’amusait, mais il ne voulait pas pour autant trop s’exposer et s’estimait pleinement satisfait de voir qu’Ernaut se comportait comme s’il était le meneur de leur petite troupe. Son statut n’était pourtant clairement pas d’importance par rapport à un scribe de la Cour.

« Une fois que le sire évêque nous aura donné son accord pour accomplir nos tâches, je te propose d’aller commencer à recopier tout ce qui te semblera utile dans les documents. Pendant ce temps, je vais aller à la pêche aux nouvelles en ce qui concerne les mauvais garçons qui se terraient dans leur hostel en ville. Il nous faut en savoir plus, sinon nous risquons de prendre folle décision.

— D’autant que le sénéchal du comte de Jaffa me fait l’effet de ne guère apprécier mauvais valet.

— Certes. Pas plus que le sire Constantin de voir son autorité prise en défaut. Je crois bien que nous avons été placés entre martel et enclume, mon pauvre. »

Ils sourirent tous deux, sans être vraiment rassurés. De simples sergents comme ils l’étaient ne seraient que de peu d’importance si des décisions devaient être prises d’un côté ou l’autre pour régler les problèmes soulevés par cette histoire. Si le pape, le basileus byzantin, le roi des Allemands et la couronne de Jérusalem devaient s’affronter, ce ne seraient pas barons qui seraient sacrifiés en premier. Aux échecs, le pion ne sert-il pas souvent qu’à se faire tuer pour permettre à son seigneur de triompher ?

« Il va te falloir mettre grande hâte à grapper tout ce que tu pourras dans les textes du chanoine. Au moins ne serons-nous pas bredouilles si d’aventure les choses se gâtaient pour nous. Pensons avant tout à bien servir les intérêts de la couronne. C’est à elle que nous avons juré, après tout. Et prends bien garde à tout ce qui pourrait évoquer poudre de lune ou escarboucle. »

Lydda, quartier de la porte de Samarie, après-midi du dimanche 28 décembre 1158

Les boutiques étant fermées, la ville semblait assoupie, malgré les voix s’échappant des cours intérieures et des jardins. On ne voyait pas grand monde dans les rues, un temps gris incitant chacun à demeurer chez soi afin d’éviter une éventuelle averse. Bien emmitouflé, Ernaut parcourait les allées et venelles pour tenter de retrouver Hashim. Au moment de quitter Lydda, il l’avait remercié et grassement dédommagé de ses efforts, et il espérait pouvoir de nouveau avoir recours à ses services, ou profiter de sa mémoire. Il avait frappé en vain à l’endroit où Hashim résidait avec sa famille. Il préférait perdre du temps à le dénicher avant de faire quoi que ce soit avec Aymar et ses compagnons, afin d’avoir tous les renseignements utiles. Il n’était même plus sûr que ceux-ci soient encore présents, leur tâche étant probablement terminée.

Malgré son acharnement, il n’arriva à rien et ne parvint qu’à être transpirant à force d’agitation sans aucun résultat. Ce genre de situation lui portait tout particulièrement sur les nerfs et avait tendance à le faire réagir sottement, sautant sur le premier prétexte qui permette de sortir de ce statu quo. Pestant après Hashim qui n’était jamais présent quand on avait besoin de lui, il retourna une nouvelle fois vers la petite place où ses espions avaient coutume de s’installer pour faire la vigie. Et, de là, se rendit finalement vers le bâtiment qu’occupait Aymar.

L’écurie de louage était ouverte et un domestique au turban brinquebalant s’employait à en balayer le passage d’entrée. Il n’y avait nul jour férié pour qui avait des animaux. En les mettant à son service, on devenait aussi leur esclave, enchaîné plus sûrement que par le plus solide des liens. Lorsqu’Ernaut approcha, l’homme le salua poliment, sans interrompre sa tâche. Il était pieds nus, avec un thawb maintes fois reprisé et un morceau d’étoffe serré à la taille. Malgré cette apparence négligée, il s’était rasé peu de jours auparavant et n’avait pas l’air misérable. Peut-être réservait-il de vieilles hardes aux travaux salissants. Prenant Ernaut pour un client, il l’accueillit comme tel et lui conseilla d’attendre le retour de son maître s’il souhaitait une monture ou des animaux de bât. Il avait un accent local terrible, mais s’exprimait sans hésitation dans la langue des nouveaux seigneurs. Ernaut le détrompa sur ses intentions et lui demanda s’il savait si les gens qui demeuraient au-dessus étaient encore là.

« Partis voilà une paire de jours. C’est des compères à vous ?

— Peu ou prou. Peut-être ferons-nous affaire, mais je préfère en savoir plus dès avant.

— Je ne saurais dire s’ils ont bonne fame ni me porter garant. Pas plus que d’aucuns à l’entour. J’espère que vous n’aurez pas mauvaise surprise.

— La merci à toi, compère. En sais-tu long à leur propos ?

— Ils ne sont pas fort causants, ne sont pas d’ici. Ils viennent qui cy qui là depuis long temps. Peut-être reviendront-ils ? Les gens de cette importance vont et viennent tels des nomades.

— Tu disais ne les connaître point.

— Si fait. Mais c’étaient des hommes de qualité ou servant un riche maître. J’ai usage de voir les animaux, leurs montures étaient bien soignées et ils sont repartis avec. Ce n’étaient donc pas de simples louages, auquel cas les gens nous laissent parfois une bête ou l’autre, préférant en changer malgré la dépense en plus. »

Malgré son apparence fruste, l’homme était observateur et s’exprimait de façon bien savante pour un simple commis d’écurie. Cela lui fit penser à Abdul Yasu, son ami loueur de bêtes à Jérusalem. Avoir un ribaud avec les yeux bien ouverts en chacun de ces endroits garantissait de nombreuses informations sur les allées et venues. Comme Hashim, ils étaient discrets et se fondaient dans le paysage, mais surveillaient tout se qui se passait. Sans compter que, parfois, ils étaient dotés d’un esprit vif. Là aussi se trouvait une source utile et profitable à exploiter si, d’aventure, on lui confiait une nouvelle enquête à l’avenir.

« Sais-tu à qui appartient la maison où ils demeuraient ?

— Oui, à mon maître. Mais il ne t’en dira rien, car il ne s’en occupe guère. C’est moi qui leur baille la clef. »

Remerciant chaleureusement le valet pour son aide, Ernaut le gratifia d’une petite pièce, ce dont il fut repayé par une pluie de bénédictions. Au moins aurait-il un allié dans la place au cas où ces hommes reviendraient.

Il retrouva ensuite le chemin du palais. À moins qu’il ne remette la main sur Hashim et que ce dernier ait continué sa surveillance par curiosité, il n’avait plus guère de moyens pour remonter la piste du seigneur d’Aymar. Du moins pas sans se dévoiler complètement et prendre le risque de contrarier ou d’alerter une des puissances impliquées dans cette histoire. Il lui fallait se fier à Raoul et à sa science des textes pour y pêcher d’utiles indices. Et si jamais certains documents pouvaient être discrètement escamotés pour les délivrer au sénéchal par la même occasion, Ernaut n’hésiterait pas.

Si les secrets sur lesquels Waulsort travaillait étaient d’une telle importance, ils seraient en de bonnes mains si la couronne en disposait. Et ce pourrait être l’occasion d’être évoqué auprès de Baudoin comme le champion qui avait découvert l’histoire, voire de lui être directement présenté. Dans ses rêveries en marchant, Ernaut se voyait accolé par le roi en présence de la Haute Cour. Il se doutait néanmoins que, pour être essentiels, de pareils agissements ne pouvaient être de ceux qu’on célébrait en public avec faste. Il appartenait aux hommes des basses œuvres, qu’on félicite du bout des lèvres sans trop en dire.

Alors qu’il passait le portail donnant accès à la forteresse Saint-Georges, il salua les sergents de faction, le sourire aux lèvres. Il venait de réaliser qu’il lui faudrait remercier le connétable d’avoir manifesté son désaccord à ce qu’on dispose de ses chevaliers sans l’avoir consulté au préalable. Il se rendit sans même y penser au cloître. Lorsqu’il vit que que Raoul avait disparu, il le traversa en rapides enjambées pour le retrouver dans la cellule où les documents étaient entassés.

Le scribe l’accueillit d’un sourire, mais sans un mot, plongé dans une pile de feuillets, tablettes et rouleaux. Ernaut eut un petit pincement au cœur d’être ainsi écarté de ces importantes recherches en raison de son illettrisme. Peut-être devrait-il voir avec un clerc de la cité s’il ne pourrait pas reprendre ses études sur ce point ? Sans parler de quadrivium ou de trivium, savoir manier l’écriture aussi bien que les chiffres lui serait d’un grand avantage. Ce serait en outre l’occasion de briller aux yeux de Libourc, qui compensait son incapacité à lire par une excellente mémoire auditive.

Sommaire : Le souffle du dragon

Suite : Chapitre 7

1)
Jetons, pion, servant parfois de ticket, voire de monnaie.
2)
Voir le second tome, Les Pâques de sang.
3)
Unité de poids valant approximativement une tonne, soit 20 quintaux médiévaux, soit 2000 livres de poids.
4)
Voir le premier tome, La nef des loups.